La filature-surveillance et le rapport d’enquête : des éléments essentiels de la mission du Détective

1. – Le principe

La filature-surveillance et le rapport d’enquête sont des éléments essentiels de la mission du Détective.
Filer est l’action de suivre un individu sans se faire remarquer ou repérer, afin de savoir où celui-ci se rend, de connaître ses fréquentations, son travail, son adresse.

Dans la quasi-totalité des affaires confiées à un cabinet de recherches privées, la filature est un moyen d’action permettant de constater des faits qui seront consignés dans le rapport remis au client, et d’apporter ainsi des éléments de preuve au dossier.

En moyenne 80% des affaires requièrent une filature surveillance, principalement dans les cas de recherche de preuves pour un divorce, ou de recherche de l’employeur d’un débiteur, de l’auteur d’un vol, de la preuve de la concurrence déloyale ou du détournement de clientèle, etc…

Le rapport de mission quant à lui, a une importance capitale devant les tribunaux. En effet, un rapport mal circonstancié, mal rédigé, incomplet, ou comportant la relation de faits erronés ou de renseignements obtenus d’une manière déloyale ou illicite, sera rejeté par le magistrat.

Partant de ce principe, la filature est donc l’un des éléments fondamentaux de la mission dont dépendent le contenu du rapport et par conséquent les preuves que peut rassembler le détective en vue de défendre valablement et légalement les intérêts de son client. C’est un art que le professionnel de la Recherche Privée exerce avec bonheur dès lors qu’il respecte les règles du jeu et les conditions légales sans lesquelles les faits qu’il relatera dans son rapport deviendront illicites et la preuve irrecevable auprès d’un tribunal.

2. – Les textes – Généralités

Bien souvent décriée et rejetée dans les conflits prud’homaux, tolérée et malgré tout accueillie comme moyen de preuve dans des procès civils et par la Cour de cassation, la filature n’en constitue pas moins un élément de preuve par la constatation de faits qui vont conduire l’employeur à licencier un employé déloyal, le client à déposer une plainte nominative contre un auteur identifié de menaces, ou le juge à se forger une intime conviction sur la réalité d’une manœuvre dolosive ou d’une escroquerie.

En matière de jurisprudence sociale, la filature comme moyen de preuve est acceptée ou rejetée selon divers critères évidents dont il convient d’avoir connaissance avant d’accepter un dossier, notamment en ce qui concerne le recueil de preuves recherchées par un employeur à l’encontre de ses salariés.

En effet, depuis l’arrêt 93-44078 de la chambre sociale de la Cour de cassation du 22 mai 1995, « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés ». Dans cette affaire, la cour de cassation a jugé que les rapports contenant la relation de la filature demandée par l’employeur à l’insu de son salarié, et effectuée par un détective privé, constituaient un moyen de preuve illicite.

Selon l’arrêt de la chambre sociale la Cour de cassation du 26 novembre 2002, une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle porte atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur.

Si le droit de l’employeur de contrôler et surveiller l’activité de son personnel durant son temps de travail, n’a jamais été remis en question par la Cour de cassation, des conditions ont été toutefois légalement énoncées quant aux moyens utilisés à ces fins.

Cela signifie que les tribunaux rejetteront le rapport faisant état d’une filature sur un employé alors que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation d’information des salariés. Ou le rapport mentionnant une surveillance effectuée au domicile d’un employé alors que l’objet de la mission n’est pas en relation avec sa vie privée. Ou encore le rapport qui démontre que la surveillance du salarié s’est déroulée sur plusieurs mois alors que ce procédé n’était pas justifié et se trouve ainsi disproportionné par rapport au but recherché. Ce dernier point a pour fondement l’article L.1121-1 du code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »

Pour justifier sa position, la chambre sociale de la Cour de cassation s’appuie essentiellement sur l’article 9 du code civil qui dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée », sur l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, sur l’article 9 du Nouveau Code de procédure civile qui veut que chaque partie prouve les faits d’une manière conforme à la loi, ainsi que sur l’article L.1121-1 du code du travail.

En matière de droit civil, commercial et pénal, la preuve peut être apportée par tout moyen. La jurisprudence est constante et le rapport d’une enquête ou d’une filature exécutée dans le respect des conditions déterminées par les différents textes, est généralement admis en tant que moyen de preuve par les tribunaux, sauf dans les cas où ce rapport ou les moyens utilisés par le détective pour parvenir à ses fins, est considéré comme déloyal, ou portant atteinte à la vie privée, ou illicite par son contenu.

Les intérêts des tiers ayant recours à un professionnel de la recherche privée, nécessitent par conséquent de la part de celui-ci une étude préalable de tous les éléments apportés par la partie requérante au moment de l’entretien et de la signature du contrat de mandat, du but réel de l’enquête nécessitant une filature, ainsi que des moyens à mettre en œuvre pour la réalisation d’une mission.

3. – La pratique de la filature sur le terrain.

Pour répondre aux critères définis par la déontologie et par les textes en matière de vie privée, de légalité du recueil de renseignement, ou de moyen de preuve, la filature demande des qualités de base et essentielles, mais seule la pratique et l’expérience permettent au détective de faire front à toutes les situations qu’il rencontre dans l’exercice de cet art.

Contrairement aux services de police qui disposent de moyens de surveillance importants tant par le personnel affecté aux missions sur le terrain, que par le temps et les techniques sophistiquées mises à leur disposition, le détective agit généralement seul, et se trouve confronté aux limites « temps-argent-nécessité » imposées par son client ou par une procédure engagée par ce client.

Il aura donc l’obligation d’agir vite, de limiter ses déplacements dans le temps et dans l’espace, d’utiliser au cours de sa mission les seuls moyens légaux dont il peut disposer comme tout autre citoyen, mais dont la mise en œuvre, l’efficacité et le résultat démontreront son professionnalisme et sa compétence.

Le principe est de voir sans être vu, de ne pas se faire remarquer par la cible ou par des voisins qui peuvent prendre peur à la vue d’une personne restant des heures durant dans son véhicule, et ainsi venir interroger le détective sur les raisons de sa présence sur les lieux, ou plus simplement appeler la police ou la gendarmerie dont l’arrivée ne passe généralement pas inaperçue, ce qui entraîne immanquablement l’arrêt de la mission. Sans compter les désagréments que cela implique pour le détective intercepté au vu et au su des habitants du quartier…. et de la cible.

Ainsi, avant de commencer une filature ou de mettre en place une surveillance, l’Agent de Recherches Privées procède à quelques actions indispensables pour le bon déroulement de la mission et en particulier à l’étude de la configuration des lieux qui détermine la manière de conduire la mission et de se préparer à la surveillance ou la filature en tout lieu et par des moyens véhiculaires et humains adaptés au contexte et à la situation.

4. – La justification du rapport d’enquête ou de mission

En droit français, la preuve des faits matériels n’est soumise à aucune restriction. Elle peut être obtenue par tout moyen légal et doit servir à forger l’intime conviction d’un juge. Ainsi, lorsque le client d’un détective tente de prouver un fait, il cherche à rapporter la preuve de faits juridiques dont la démonstration est admise par tout moyen, sauf dans des cas précis dans lesquels la loi admet des modes de preuves particuliers (filiation, recherche de paternité).

En réalité, aucun texte ne rend le rapport du détective obligatoire. Cependant, les ARP s’imposent cette règle par un principe déontologique devenu au fil du temps et au regard de l’évolution des procédures, une nécessité et un devoir plus qu’un usage professionnel. Si le mandat de pouvoir signé par le client légalise la mission du détective mandataire, le rapport en justifie les moyens et les actions.

En matière de jurisprudence, le rapport de l’ARP est admis comme moyen de preuve depuis l’arrêt de principe de la Cour de cassation n° 1020 du 7 novembre 1962. Dans cette affaire, le divorce avait été prononcé par un tribunal d’Orléans sur les seules dépositions du détective. La Cour relevait que « même si les déposition d’un agent de recherches doivent être accueillies avec prudence, le conjoint ne prouvait pas leur fausseté pour les faits précis rapportés des déclaration manifestement objectives et sans animosité »

Depuis cet arrêt, la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence en rappelant notamment que les rapports des détectives ne peuvent être rejetés au seul motif que ceux-ci étaient payés (2° C.Civ. / 12.10.1977).

La première juridiction à avoir accepté le rapport d’un détective, a été le TGI de NIMES, le 21 avril 1959, qui avait relevé que « le Détective s’est acquitté de sa mission officieuse avec un zèle et une minutie qui ne peuvent être écartés ».

Cependant, pour que le rapport du professionnel ait une force probante, l’ARP doit respecter quelques points essentiels :

– L’objectivité : Il rapporte fidèlement les fais qu’il a vus ou entendus sans les déformer et sans les interpréter. Ecrire qu’il a vu Monsieur X sortir ivre d’un bar ou que Madame Y est entrée dans le domicile de son amant, est un jugement personnel et une interprétation subjective du comportement des personnes surveillées.

– L’impartialité : l’ARP est témoin de faits qu’il se contente de rapporter sans y ajouter d’appréciation personnelle ou sans dénigrement de l’une des personnes en cause. Le rapport ne doit pas contenir de caractère discriminatoire ou un commentaire sur l’état de santé mentale de l’une des parties en cause.

– La qualité du renseignement qu’il rapporte : les informations sont recueillies d’une manière loyale ou par des moyens légaux. Elles sont vérifiées et recoupées par l’ARP avant d’être consignées dans le rapport.

5. – Le rapport dans la jurisprudence

– Quelques arrêts et jugements reconnaissant la valeur du rapport de l’ARP :

Cour d’appel CAEN – Chambre civile – Audience publique du 04 avril 2002 –

N° de décision : 01/01952

Les éléments recueillis par les constatations effectuées par un détective privé sont admissibles en justice selon les mêmes modalités et sous les seules mêmes réserves pour tout autre mode de preuve.

Cour de Cassation – Chambre criminelle – Audience publique du 26 juin 2002 –

N° de pourvoi : 01-87900

La demande de faire entendre le détective en tant que témoin est rejetée car la procédure pénale n’a pu être respectée. Le rapport est annexé à la procédure et se suffit à lui-même.

Cour de Cassation – Chambre sociale – Audience publique du 4 février 1998 –

N° de pourvoi : 95-43421

« Attendu que pour retenir l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d’appel, ayant relevé que l’employeur avait fait suivre par un enquêteur privé le salarié à l’insu de celui-ci, énonce que doivent être considérées comme illicites certaines parties du rapport et enquête, mais que d’autres parties du document doivent être considérées comme une attestation émanant d’un sachant dont la portée peut être librement appréciée par le juge du fond ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, en se fondant uniquement sur des éléments tirés du rapport, alors que l’illicéité d’un moyen de preuve doit entraîner son rejet des débats, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Cour de Cassation – Chambre civile 2 – Audience publique du 7 mai 2002 –

N° de pourvoi : 01-01338

La cour confirme que le rapport du détective peut être retenu comme l’un des éléments permettant d’établir que le comportement du conjoint est constitutif de causes de divorce au sens de l’article 242 du Code civil.

– Quelques arrêts relatifs au rejet du rapport du détective

Cour de Cassation – Chambre civile 2 – Audience publique du 7 mai 2002 –

N° de pourvoi : 01-01338

« Attendu que pour rejeter les prétentions de Mme Y…, le Tribunal a retenu que l’ingérence dans sa vie privée, qui n’était pas contestée, était justifiée par la nécessité d’établir devant le juge aux affaires familiales la réalité des revenus de chacune des parties ;

Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que, selon le contenu du rapport issu de cette surveillance, Mme Y… avait été épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs mois, ce dont il résulte que cette immixtion dans la vie privée était disproportionnée par rapport au but poursuivi, le Tribunal a violé le texte susvisé ; »

« Dès lors qu’il est établi qu’une personne a été épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs mois, est disproportionnée, par rapport au but poursuivi, l’immixtion dans sa vie privée par un détective privé auquel avait été confiée la recherche d’éléments de train de vie susceptibles d’appuyer la demande en suppression de prestation compensatoire de son ex-époux ».

Cour de Cassation – Commission de révision – Audience publique du 11 septembre 2006 –

N° de pourvoi : 05-REV043

Rejet de la demande présentée par X… Raphaël et tendant à la révision de l’arrêt de la cour d’assises des Vosges, en date du 12 mars 1997, qui, pour meurtre et vol aggravé, l’a condamné à dix-sept ans de réclusion criminelle.

« Attendu qu’enfin, le rapport du détective privé, qui fait état d’autres disparitions dans les Vosges et du témoignage d’une personne préférant garder l’anonymat mettant en cause, indirectement, une dénommée Soued A…, ne contient pas des éléments précis, vérifiables et circonstanciés susceptibles de remettre en cause la condamnation prononcée ; »

Cour de Cassation – Chambre civile 2 – Audience publique du 20 novembre 1996 –

N° de pourvoi : 95-13374

Rapport de filature d’un détective – Absence de force probante – Appréciation souveraine du rapport.

« Mais attendu qu’en retenant que le rapport de filature, quand bien même il ne serait pas contesté par le mari, ne revêt en lui seul aucune force probante du fait de la subordination du détective, la cour d’appel n’a fait, hors de toute contradiction, qu’exercer son pouvoir souverain; »

© – 2009 – MF Hollinger