Entreprises : la surveillance des salariés en hausse

Selon un article de Tempsréel-Nouvelobs à lire ici, la surveillance des salariés par l’entreprise est en recrudescence. C’est ce qu’affirme la CNIL dans son 30° rapport annuel d’activité.

Les techniques utilisées par l’employeur pour surveiller, contrôler et sanctionner ses salariés, passent par les technologies modernes :  Filtrage des courriers électroniques, utilisation de la vidéo et de la géolocalisation, mise en place de dispositifs biométriques, surveillance des réseaux sociaux,  etc…

Mais ces procédés sont-ils loyaux  et permettent-ils de justifier une procédure de licenciement face aux Prud’hommes ou constituent-ils des preuves dans une procédure de plainte à l’encontre d’un salarié indélicat ? Peuvent-ils remplacer l’action de l’Enquêteur Privé qui recueille d’une manière légale des preuves qui constitueront un dossier solide utilisable en justice ou dans une négociation de départ « à l’amiable » ?

Pour le savoir, il suffit de se référer aux textes, codes en vigueur et avis de la Cour de cassation qui, s’ils tendent à octroyer à l’employeur le droit de surveiller ses salariés pour le bien de l’entreprise, sanctionnent les manquements à divers principes fondamentaux de la vie des salariés, notamment le respect de son droit à la vie privée.

L’utilisation par l’employeur de certaines technologies à des fins de surveillance de ses salariés peut le conduire à commettre des atteintes à la vie privée de ceux-ci.

Selon le principe de l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée et le Code du travail a renforcé ce droit par l’article L 1121-1 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Le salarié est protégé au sein de l’entreprise tant dans sa vie personnelle que professionnelle, et doit ainsi être informé qu’il est susceptible de faire l’objet d’un contrôle ou d’une surveillance par tous moyens légaux lorsque l’employeur souhaite mettre en place des systèmes de surveillance ou de contrôle (GPS, caméras, pointeuses, badges, fiches de renseignements, formulaires, etc.). Le Code du travail prévoit en effet qu’ «aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été préalablement porté à sa connaissance » (article L1222-4), et que «le salarié est informé des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus doivent rester confidentiels.» (article L1221-8). Ce même article précise que « les méthodes d’évaluation doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

Le code du travail prévoit que pour informer les salariés, le Comité d’entreprise (obligatoire dans les entreprises de plus de dix salariés) doit être consulté avant toute installation d’un système de contrôle de l’activité, lorsque ces systèmes « sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel ».

Cette obligation d’information est régulièrement rappelée par la Cour de cassation :

Cass. Soc. 20 novembre 1991 : « Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’image ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite. Une cour d’appel ne peut donc, sans violer l’article 9 du nouveau Code de procédure civile, retenir à l’encontre d’une salariée l’existence d’une faute grave, en se fondant sur un enregistrement effectué par l’employeur, au moyen d’une caméra, du comportement et des paroles de la salariée, tandis qu’il résulte du procès-verbal de transport sur les lieux effectué par les juges du second degré que la caméra était dissimulée dans une caisse, de manière à surveiller le comportement des salariés sans qu’ils s’en doutent ».

Cass. Soc. 22 mai 1995 « Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés ». Dans cette affaire, l’employeur avait fait suivre le salarié à son insu par un détective privé.

– Cass. Soc. 7 juin 2006 : «Constitue un moyen de preuve illicite l’enregistrement du salarié par le système de vidéo surveillance de la clientèle mis en place par l’employeur qui est également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés sans information et consultation du comité d’entreprise ».

Il en résulte que les preuves recueillies contre un salarié, si elles procèdent bien d’un besoin légitime de l’employeur et d’un droit qui lui est reconnu de contrôler l’activité de ses salariés durant leur temps de travail au sein de l’entreprise, ne sont pas admissibles en tant que moyen de preuve légal et ne peuvent donc justifier un licenciement lorsqu’elles sont obtenues par des procédés clandestins ou déloyaux.

Cependant, si la preuve de la faute du salarié obtenue au moyen d’un procédé déloyal ou illicite peut être jugée irrecevable dans le cadre d’une procédure de licenciement, elle peut être néanmoins valablement produite dans les cas d’infractions pénales telles que le vol en entreprise par un salarié.

Cass. Crim. 6 avril 1994 : « Les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motifs qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante ».

Il existe également en matière sociale, des cas dans lesquels le comportement fautif du salarié est mis en évidence par une surveillance et conduit ainsi à son licenciement justifié :

Cass. Soc. 29 janvier 2008 : « Mais attendu, d’abord, que la simple vérification des relevés de la durée, du coût et des numéros des appels téléphoniques passés à partir de chaque poste édités au moyen de l’autocommutateur téléphonique de l’entreprise ne constitue pas un procédé de surveillance illicite pour n’avoir pas été préalablement porté à la connaissance du salarié ; Attendu, ensuite, qu’ayant constaté qu’à de nombreuses reprises, le salarié avait utilisé pendant son temps de travail le poste téléphonique mis à sa disposition pour établir des communications avec des messageries de rencontre entre adultes, alors qu’il savait que cet usage était interdit dans l’entreprise, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé un comportement fautif, a estimé, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L.122-14-3 du code du travail, que ces faits constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

Les juges considèrent en effet que la mise en place d’un système d’enregistrement des conversations téléphoniques, au sein de l’entreprise, peut se justifier par la nécessité pour l’entreprise de rapporter la preuve des transactions qu’elle est amenée à passer par téléphone, comme la mise en place de caméras peut se justifier par la lutte contre le vol dans l’entreprise.

Lorsque le contrat de travail précise les interdictions pour le salarié d’utiliser à de fins personnelles le matériel mis à sa disposition par l’entreprise, les juges peuvent considérer que le contrat est rompu par la faute du salarié et que le licenciement est justifié (Cass. Soc. 22 mars 2007 : utilisation à des fins personnelles de la carte professionnelle et du badge de télépéage mis à la disposition du salarié par l’employeur)

L’employeur a toutefois des obligations à respecter, en dehors de celle d’informer ses salariés. Dans le cas de fichiers automatisés, ou alimentés par les systèmes de contrôle (badges magnétiques et électroniques), la loi du 6 janvier 1978 impose non seulement une obligation d’information des salariés fichés qui disposent d’un droit d’accès et de rectification, mais également une déclaration du traitement auprès de la CNIL.

C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans une affaire où l’employeur qui a sanctionné un salarié refusant d’utiliser son badge alors que le traitement automatisé n’avait pas fait l’objet d’une déclaration préalable, a licencié ce salarié sans cause réelle et sérieuse. En effet, la Chambre sociale a jugé qu’en vertu des articles 16,17 et 34 de la loi du 6 janvier 1978, et qu’ « à défaut de déclaration à la Commission nationale de l’informatique et des libertés d’un traitement automatisé d’informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en œuvre d’un tel traitement ne peut lui être reproché » (Cass. Soc. 6 avril 2004).

En règle générale, l’employeur qui déroge aux principes dictés par le Code du travail, commet le délit d’atteinte à la vie privée et s’expose à des sanctions pénales.

Les différentes atteintes sanctionnées relèvent de l’intrusion de l’employeur dans la vie personnelle de son salarié, notamment lorsqu’il enregistre clandestinement des conversations téléphonique ; ou qu’il le filme à son insu ; ou qu’il viole le secret des correspondances en prenant connaissance de courriers personnels que le salarié se serait fait adresser dans l’entreprise.

L’arrêt « Nikon » du 2 octobre 2001, constitue une jurisprudence relative à l’utilisation par les salariés à des fins personnelles des moyens informatiques que l’employeur met à leur disposition. Dans son arrêt, la Cour de cassation a énoncé que «Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».

Elle a précisé sa position dans un arrêt du 17 mai 2005 : « sauf risque ou événement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ». Mais dans cette affaire, la cour a introduit une limite à ce principe en précisant que la consultation des fichiers pouvait néanmoins se faire en l’absence du salarié « en cas de risque ou d’événement particulier ». Il s’agissait en l’occurrence d’un licenciement pour faute grave à la suite de la découverte par l’employeur de photos érotiques que le salarié gardait dans son bureau. A la suite de quoi l’employeur avait décidé de fouiller l’ordinateur du salarié et avait découvert un dossier contenant des fichiers personnels et photos n’ayant aucun rapport avec l’activité professionnelle.

Toutefois, la Cour de cassation dans un arrêt du 18 octobre 2006, a jugé que les dossiers que le salarié détient dans son bureau sont présumés revêtir un caractère professionnel : « les documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise mis à sa disposition sont, sauf lorsqu’il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ».

Enfin, le salarié n’a pas l’entière liberté de disposer à son gré des moyens de communications et des messageries mis à sa disposition par l’employeur, et il peut se rendre coupable d’une faute grave justifiant son licenciement s’il utilise une messagerie aux fins de diffuser des propos à caractère antisémite ou racial. L’arrêt du 2 juin 2004 a donné raison à l’employeur en jugeant que « le fait pour un salarié d’utiliser la messagerie électronique que l’employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d’identifier l’employeur, un courriel contenant des propos antisémites est nécessairement constitutif d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis ».

De la même manière, l’arrêt du 14 mars 2000 reconnaît que « l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, l’emploi de procédé clandestin de surveillance étant toutefois exclu. En conséquence, une cour d’appel qui a relevé que les salariés avaient été avertis de ce que leurs conversations téléphoniques seraient écoutées a pu décider que les écoutes constituaient un mode de preuve valable ».

Selon cet arrêt, on peut donc légitimement penser qu’en matière sociale, les rapports de filatures effectuées sur des salariés par des détectives qui, en l’absence d’avertissement préalable de la part de l’employeur, étaient généralement considérés comme des moyens de preuve illicites par les tribunaux, peuvent être acceptés dès lors que les conditions légales d’information des salariés sont réunies.

Pourtant, la jurisprudence reste constante en la matière. Un arrêt du 26 novembre 2002 rappelle qu’ « il résulte des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil, 9 du nouveau Code de procédure civile, et L.120-2 du Code du travail qu’une filature organisée par l’employeur pour surveiller l’activité d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur ». Ici, ce n’est pas un détective qui a procédé à la filature mais le supérieur hiérarchique qui s’est posté à proximité du domicile de la salariée durant deux jours et qui a établi un « rapport de contrôle » relatant les allées et venues de la salariée, constituant ainsi une atteinte manifeste à la vie privée de cette personne. Le moyen était donc disproportionné et illicite.

En conclusion, l’employeur qui veut prouver la faute d’un salarié et justifier ainsi le licenciement, doit apporter la preuve qu’il a bien satisfait aux obligations légales d’information des salariés ou d’information collective de l’entreprise, effectué les déclarations préalables auprès de la CNIL de tout traitement automatisé ou de tout fichier comportant des données ou informations personnelles, et ne pas utiliser son droit de contrôle et de surveillance d’une manière clandestine, déloyale ou disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes de l’entreprise.

Dans bien des cas cependant, aucune des technologies utilisées ne remplacera le travail de l’Enquêteur privé qui surveillera le salarié dans ses déplacements professionnels ou au sein de l’entreprise, recueillant ainsi un ensemble d’éléments de preuves qui, consignés dans un rapport de mission, permettront à l’employeur de présenter une meilleure défense devant la juridiction compétente.

Pour une meilleure information sur la conduite à tenir en cas de doutes sur un salarié et sur les conséquences de sa surveillance, il suffit de s’adresser à des professionnels compétents ou de demander conseil à la Chambre Professionnelle des Détectives : cnsp@cnsp.org

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