Juge d’instruction : la stratégie à petits pas

Source : article paru le 16/11/2009 sur Lefigaro.fr

L’enjeu est de mettre au point une subtile mécanique dans laquelle le parquet mènerait l’ensemble des enquêtes sans pouvoir être soupçonné d’obéir au politique ou d’étouffer les affaires sensibles.

Petit à petit, Michèle Alliot-Marie pose les jalons de la suppression du juge d’instruction et de la réforme de la procédure pénale. Après son intervention, dimanche, dans le «Grand jury RTL-Le Figaro», la garde des Sceaux s’exprimera à nouveau sur le sujet mardi à l’Assemblée nationale au cours d’un colloque pourtant organisé par un parlementaire de l’opposition, André Vallini, ancien président de la commission sur Outreau.

En parler, pour tenter de rassurer, c’est déjà avancer : la ministre de la Justice, en charge de l’une des réformes les plus importantes et les plus sensibles lancées par Nicolas Sarkozy, a entrepris de déminer le terrain politique. Mardi dernier, elle a réuni pour la première fois un petit groupe d’élus, une poignée de députés et de sénateurs – comprenant un membre de l’opposition – qui seront associés à la préparation du texte. Parallèlement, une équipe restreinte de magistrats se réunit, avec un avocat, tous les vendredis, autour de son directeur de cabinet, tandis que la direction des affaires criminelles et des grâces s’attelle aux propositions d’écriture du texte. «Ça fume, ça fume», commente un membre de la Chancellerie.

L’enjeu, pour les équipes de MAM, est de mettre au point une subtile mécanique dans laquelle le parquet mènerait l’ensemble des enquêtes sans pouvoir être soupçonné d’obéir au politique ou d’étouffer les affaires sensibles. Là est l’argument central dont se prévalent tous les opposants à la suppression du juge d’instruction : la fin du magistrat instructeur sonnerait la fin d’une justice indépendante. À moins, assurent-ils, de modifier le statut des magistrats du parquet et de le calquer sur celui des juges du siège – en changeant notamment leur mode de nomination. Or, précisément, le gouvernement ne veut pas toucher à ce statut.

La Chancellerie travaille donc sur «l’autonomie de la conduite de l’enquête», selon l’expression des juristes, c’est-à-dire sur la façon d’établir un contre-pouvoir efficace face au parquet-enquêteur. Ce garde-fou, c’est le «juge de l’enquête et des libertés » ou «JEL», qui, d’après les derniers travaux, devrait se voir confier des pouvoirs très étendus. Ce juge du siège, indépendant et spécialisé, jouera le rôle d’arbitre de l’enquête, et les parties pourront s’adresser à lui à de multiples stades de la procédure pour demander des actes, contester la décision du procureur. Il pourrait décider du renvoi ou non d’une personne en correctionnelle ou aux assises. Il sera également chargé de statuer – éventuellement en collégialité – sur les mesures privatives de liberté, comme le placement en détention.

Le débat s’ouvrira en janvier

Cette réforme s’accompagne de nouveaux droits pour la défense : les avocats joueront un rôle plus actif au cours de l’enquête. La Chancellerie est déjà décidée à leur permettre d’intervenir dès le début de la garde à vue, mais l’étendue exacte de leur rôle fait encore débat.

Plus l’avocat est sollicité, plus la réforme coûtera cher en termes d’aide juridictionnelle pour les justiciables les plus démunis… Le risque existe également de créer une justice à deux vitesses, les plus riches bénéficiant d’une défense plus efficace.

En janvier, le premier avant-projet devrait commencer à circuler. C’est alors que s’ouvrira le vrai débat. Pour l’heure, les opposants affûtent encore leurs armes. À l’Assemblée, Jean-Paul Garraud, député UMP, mais opposé à la réforme, mène une série d’auditions au côté de son collègue Étienne Blanc et doit rendre un rapport en début d’année prochaine. Pour l’instant, les députés ne se sont guère mobilisés sur la question. Côté magistrature, l’USM (Union syndicale des magistrats, majoritaire) se rapproche actuellement de plusieurs associations de victimes, que le projet inquiète, pour préparer l’offensive. Au sein du gouvernement, Jean-Marie Bockel, secrétaire à la Justice, a fait entendre sa voix ce week-end en se déclarant favorable à un «juge de l’instruction» qui donnerait une «direction à l’enquête», assurée au quotidien par le parquet, et qui interviendrait en formation collégiale.

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