Un article à lire sur humanite.fr, paru le 4 janvier 2010 et publié par Manuela grévy, enseignante-chercheuse à l’université Paris-I
La vidéosurveillance n’est pas un mode anodin de surveillance et de contrôle des salariés. L’enregistrement du salarié dans ses faits et gestes, singulièrement lorsqu’il est continu, menace celui-ci dans son identité, dans son intimité. Par sa prégnance, par sa technique même qui exclut l’erreur et l’oubli, la vidéosurveillance est un monstre froid qui met à nu le salarié. Or parce qu’« au contrat, le salarié met à la disposition de l’employeur sa force de travail mais non sa personne », celui-ci doit pouvoir exiger une certaine opacité, même aux lieux et temps de la subordination. En altérant cette opacité, la vidéosurveillance est donc, par nature, susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne.
C’est ce que souligne une délibération de la Cnil, du 16 avril 2009, adoptée à propos de l’utilisation par une entreprise de la vidéosurveillance dans des conditions irrégulières. La loi du 6 janvier 1978, qui protège les personnes contre les traitements de données personnelles, notamment l’image, affirme des règles essentielles? : les données doivent être « collectées et traitées de manière loyale et licite »? ; en outre, elles doivent être collectées pour « des finalités déterminées, explicites et légitimes » et ne doivent pas être traitées « ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités »? ; enfin, ces données doivent être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités » (art. 6). En conséquence, en déduit la Cnil, un système de vidéosurveillance « doit obligatoirement respecter le principe de proportionnalité et être strictement nécessaire à l’objectif poursuivi ». Or dans l’entreprise en cause, le fait de placer des salariés travaillant dans des lieux non ouverts au public sous la surveillance constante des caméras constituait un usage disproportionné de cet instrument au regard de la finalité invoquée par la société, la lutte contre le vol. La Cnil a alors prononcé une sanction d’un montant de 10?000 euros et, « eu égard à la nature et à la gravité des manquements commis », la publication de la délibération. Cette décision préfigure ce que pourrait être le contrôle judiciaire de la licéité d’un système de vidéosurveillance des salariés sur le terrain des droits fondamentaux, protégés par les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 9 du Code civil et L1121-1 du Code du travail. La licéité de la vidéosurveillance doit être appréciée au regard de sa finalité et de sa proportionnalité, exigences vérifiées concrètement à partir des conditions dans lesquelles fonctionne le dispositif.
Mais allant plus loin, on peut soutenir que, lorsque les salariés se trouvent en permanence sous l’œil de la caméra, la vidéosurveillance, quelle que soit la finalité poursuivie (lutte contre le vol, contrôle de l’exécution du travail…), est, en raison de sa nature même, excessive, disproportionnée par rapport au degré d’atteinte portée à l’identité des salariés, ceux-ci perdant toute opacité inhérente au respect de leur personne.