Les Détectives et Enquêteurs privés face aux dérives des Internautes

Il y a peu, quelques confrères s’indignaient de l’impact possible que pourrait avoir « l’affaire Renault » sur notre activité. L’affaire étant retombée comme un soufflet, et les premières rumeurs accusatoires lancées par les journalistes en mal d’événements sulfureux s’avérant disproportionnées, en particulier en faisant un amalgame entre ARP et espions, les syndicats peuvent se féliciter de ne pas avoir cédé à la pression en engageant une procédure en diffamation vouée à l’échec mais qui aurait contribué à miner la profession de l’intérieur, ce dont elle n’a pas besoin.

Par contre, on pourrait s’étonner que les professionnels de l’enquête privée ne réagissent pas en subodorant le danger latent qui devient une réalité avec la multiplication des réseaux sociaux incontrôlables !

En effet, depuis quelques semaines, une page Facebook destinée aux « Sherlock Holmes en herbe » s’est créée pour tenter de retrouver Xavier Dupont de Ligonnès, soupçonné d’avoir assassiné sa famille. Les abonnés de cette page s’en donnent à cœur joie dans le dépeçage des éléments qu’ils recueillent au cours de leurs fouilles virtuelles et dans leur « traque et leur chasse aux criminels », au mépris du respect de l’intimité de la vie privée (en particulier celle des victimes et de leur famille), et de tout bon sens moral. Tout cela sous l’œil bienveillant, selon un article du Parisien, de la police qui ne dit mot mais récolte, trie et analyse ce que sèment les Internautes.

Une fois lancés, rien n’empêchera les Internautes de continuer…

L’affaire Dany Leprince avait soulevé le même style d’engouement : sur un forum dédié, les membres analysaient les faits (connus ou inconnus !!) ainsi que des documents de justice généreusement publiés ou dévoilés par certaines bonnes âmes, pas forcément autorisées.

En extrapolant, on pourrait penser qu’un comité d’Internautes est en train de se constituer pour prendre en main « l’affaire DSK » !! et tout cela gratuitement… alors que les détectives privés engagés par les avocats américains de l’ex Président du FMI demanderaient (selon les infos de ce matin), entre 300 et 500 euros… de l’heure !!!! Franchement…on se demande pourquoi les avocats de la défense verseraient des honoraires à des détectives privés pour effectuer un travail de fourmi dans le recueil de renseignements, alors qu’il y a tant de bénévoles prêts à s’investir sur les réseaux sociaux !

Soit dit en passant, ce n’est pas en France qu’on verrait des détectives embauchés par les avocats qui leur donneraient l’opportunité d’enquêter pour le compte de la défense ou celui d’une personnalité soupçonnée d’un crime ou d’un délit !

Nous sommes encore loin du système américain qui permet à la défense de déployer des moyens égaux à ceux de l’accusation… A quand un détective privé par cabinet d’avocat ??

Pourtant, la justice de notre vieille France traditionnaliste si soucieuse des libertés individuelles se dirige lentement mais sûrement vers une copie du système anglo-saxon. Cependant, la mentalité française est loin de battre des records de rapidité dans le changement de ses structures juridiques et judiciaires. A l’aube d’une prochaine réforme présumée de la procédure pénale, le principal reproche fait aux détectives qui revendiquent leur implication dans la défense de ces cas, consiste dans les honoraires demandés pour de tels dossiers.

Justice à deux vitesses, qu’ils disent… Questions : la justice n’est-elle pas déjà à plusieurs vitesses, et les avocats travaillent-ils pour rien ou pas grand-chose dans toutes les affaires qui leur sont confiées ?

N’attendons pas une réponse qui ne viendra certainement pas de sitôt et risque fort de déranger les âmes sensibles et conservatrices, et revenons plutôt à nos Burma en puissance qui s’éclatent joyeusement dans la recherche bénévole de preuves virtuelles…

Si ces bonnes âmes se contentaient de diffuser et commenter les articles de presse, ce serait un moindre mal. Mais non, chacun cherche, furète, fouille… et met en ligne sur les réseaux sociaux !

Les commentaires vont bon train et les questions se posent : pourquoi unetelle et unetelle sont-elles fâchées, pourquoi une seule personne de la famille à l’enterrement, quel est l’état des comptes bancaires de XDL, où va-t-il puiser de l’argent, qui l’héberge, aurait-il un comte Skype aux Etats-Unis… et on en passe des meilleures !!

Et la vie privée des victimes et de leur famille, disséquée, commentée et jetée en pâture à des milliers de personnes, ça fait peur non ? où sont le respect de la vie, le respect de la mort, le respect tout court ?

Le danger ? les dérives qui naissent immanquablement de ces pratiques liées au voyeurisme et à la passion non pas d’un métier, mais de sensations malsaines.

Ces Internautes, pleins de bonne volonté, ne sont pas les seuls à dériver sur le fil de l’enquête. Interrogeons nous sur la portée des reportages des médias qui balayent du revers de l’objectif les plus profondes convictions et transmettent au public une image stéréotypée d’une profession qui peine à montrer son professionnalisme. En exemple, ces reportages où l’on montre un médium qui propose ses services à des familles de disparus, ou ces associations qui, sous le couvert du bénévolat, n’hésitent pas à demander une « aide financière » aux familles pour amortir leurs frais d’enquête.

On peut très bien comprendre le désarroi des proches qui pensent avoir épuisé tous les recours possibles ou qui ne voient pas l’enquête officielle aboutir, et cèdent aux diverses sollicitations dès la parution de la première annonce de disparition, mais quand même…

Où sont l’éthique et la déontologie dans tout cela ? au moment où la mise en place d’un Conseil National de Sécurité Privée va permettre aux ARP d’obtenir enfin une déontologie commune et applicable par décret, quid de ces amateurs qui prennent une place de plus en plus importante dans le monde de l’enquête privée ?

Il est bon de rappeler que la profession d’enquêteur privé, d’agent de recherches privées, bref de détective privé, est réglementée depuis 2003 et qu’elle est soumise à des obligations : détenir un titre, un agrément ou autorisation d’exercer, une RCP et s’inscrire aux organismes sociaux (URSSAF et autres).

Les pratiques professionnelles sont conditionnées et encadrées par tous les textes relevant de la vie privée et sa protection. De plus, le recueil des informations susceptibles de constituer des preuves se fait d’une manière légale sous peine de voir les preuves et les rapports rejetés par un tribunal.

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